VASILE ȘOIMARU, Românii din jurul României în imagini, Chișinau, Ed. Prometeu, 2008, 272 p (fr)
Le professeur Vasile Soimaru, qui fête son 60e anniversaire, nourrit un amour infini pour sa contrée natale et pour tout ce qui est roumain. C’est ce qui est propre à cette personnalité, qui est parvenue à vaincre la « maladie de la députation » par l’image.
Les bois d’Orhei, les vallées de la Cula et de l’Ichel, le village natal de Cornova, des lieux marqués par l’Histoire qui, aujourd’hui encore, déploie ses immenses ailes au-dessus des gens « qui subissent les rigueurs des temps » ; ce n’est pas propre à ces lieux, mais nous en sommes et donc, nous les connaissons bien. Les temps mettent, tout le temps, à rude épreuve les gens dont ils bouleversent les vies et les âmes. Vasile Soimaru a appris, lorsque les temps le lui ont permis, alors qu’il n’était plus de première jeunesse, que ces concitoyens ainsi que des dizaines de milliers d’autres, avaient été condamnés à l’exile dans les zones y réservées par l’ex Union Soviétique. Par la suite, il a eu la révélation des écrits historiques de Nicolae Iorga, C. C. Giurescu, ou sociologiques de Mircea Vulcanescu et Anton Golopentia, des discussions de cœur à cœur avec Paul Bran et Paul Mihail. Et, toujours lorsque les temps le lui ont permis, il s’est proposé de faire part à ses concitoyens des ses réflexions et de les enrichir de ses livres.
Il a écrit une monographie de son village : Cornova [Ed. Museum, 2000], une histoire de sa famille : Neamul Soimarestilor [Ed. Prometeu, 2003], un album lyrique de témoignages photographiques : Poeme în imagini [ Ed.Prometeu, 2004], il a pris l’initiative de publier Cugetari de Nicolae Iorga [Ed.Prometeu, 2005] et des œuvres inédites de Mircea Vulcanescu [ Ed.Prometeu, 2006] pour ne plus parler des livres de spécialité – les sciences économiques -car, le très estimé professeur Vasile Soimaru est docteur es sciences économiques, l’un des fondateurs de l’Académie d’Etudes Economiques de Chisinau, dont il a été longtemps vice-recteur. Et il a d’autres projets de livres en cours.
Certains aphorismes de Nicolae Iorga sont devenus les principes mêmes de son activité. Il m’a semblé reconnaître dans la manière de manifester son patriotisme, la pensée de Iorga « „La fraternité” sentimentale des roumains doit évoluer vers un esprit d’unité. Avec tout ce que cela suppose de solidarité et de travail ensemble » (op.cit., p. 232). Il a été fortement influencé dans ses propres recherches par une autre réflexion de Nicolae Iorga relative à la multitude de roumains vivant au-delà des frontières du pays : „La Roumanie est un pays entouré de roumains”. Après avoir connu, grâce à de nombreux voyages, la Roumanie d’aujourd’hui, Soimaru a souhaité connaître celle des roumains qui „ne sont nullement colons, ni nouveaux venus, mais partout où ils vivent sont autochtones, population extrêmement ancienne” (Mihai Eminescu).
La genèse de l’ouvrage Românii din jurul României în imagini [Ed.Prometeu, 2008] est des plus intéressantes. Cela a démarré comme un projet de longue durée ayant, d’emblée, les composantes essentielles définies. Il y a eu une « Idée », une envie de Vasile Soimaru à savoir : le besoin de connaître pleinement tout ce qui signifie esprit roumain au-delà des frontières actuelles de la Roumanie. L’élément clé c’est le roumain, la langue étant, en dernière instance, la marque d’identité d’un peuple. L’auteur a trouvé dans ses souvenirs les détails linguistiques qui lui ont permis de communiquer directement avec ceux qui parlaient (encore et aussi) le roumain ou l’un de ses dialectes (l’istro-roumain, l’aroumain) partout où il les a rencontrés.
Le projet a pris forme, en définissant l’aire à couvrir, d’une étape à l’autre, le long des cinq années. Tout d’abord, suivre l’itinéraire de Teodor Burada, chercheur de la fin du XIXe siècle. Mais les endroits visités par l’équipe d’Anton Golopentia attirent aussi l’attention. Les premières questions que l’auteur s’est posées ont été du genre : « quel est le point le plus au nord (ou au sud etc.) des agglomérations roumaines ? » de sorte que, les repères une fois fixés, les relations humaines établies sur place soient déterminantes pour approfondir et élargir les investigations. Surtout la profondeur de la connaissance, grâce aux contacts ad-hoc, dans des circonstances à jamais uniques, qui ne se répèteront pas pour notre auteur et d’autant moins pour d’autres chercheurs, prolongées par des interviews-confessions et, parfois, par des amitiés qui ont duré toute une vie.
Le propre de Vasile Soimaru est son charisme, sa facilité d’établir des relations humaines. Une parfaite liberté du dialogue, une mise en confiance de l’interlocuteur qui incite ce dernier à accueillir de bon cœur cet inconnu – l’auteur lui-même – jamais vu auparavant. L’abord direct de l’autre est caractéristique au villageois qui souhaite le bon jour à tout un chacun comme s’ils se connaissaient depuis toujours. C’est l’abord direct du professeur qui établit et entretient le dialogue avec ses élèves, avec ceux de la même génération et ceux plus âgés, connus ou inconnus. Mais, c’est surtout l’abord direct de l’homme sincère, ouvert au contact avec autrui, à même d’impressionner l’autre par l’intérêt qu’il porte à la langue qu’ils parlent tous les deux. A la question miraculeuse « parlez-vous roumain ? » il reçoit une réponse négative ou positive et cette dernière déclenche la suite de la recherche.
Il lui a fallu beaucoup de courage pour se lancer dans ce périple, faisant fi, à chaque fois, de possibles dangers de l’inconnu (qu’il a, grâce à Dieu, évités) et surtout la persévérance d’un vaillant pour ne pas interrompre ou diminuer sa tâche. Et faire de son mieux pour obtenir autant d’informations et témoignages que possible, de partout et de chaque endroit car, l’illusion d’y revenir est, le plus souvent, pure utopie. Le livre est le document des roumains qui vivaient tout autour de la Roumanie dans les années 2002-2007. Ce « tout autour » peut atteindre un rayon de mille kilomètres mais, cela forme néanmoins un anneau, un halo ou une aura qui nimbent le pays.
En relatant subjectivement quelques aspects connus ou présumés, je n’entre pas dans le vif du sujet. Car tout ce que j’ai dit n’explique que partiellement le succès de l’entreprise de Vasile Soimaru visant à connaître les roumains et leurs communautés. L’histoire proprement-dite des recherches étalées sur cinq ans et environ 100.000 km c’est à l’auteur de nous la livrer. Et je la prévois tout aussi captivante qu’un bon policier. Ce qui lui est arrivé avant d’immortaliser les images (photos en système traditionnel ou digital) et après, jusqu’à leur parution en album, est une inconnue qui entretient le suspens. Et l’auteur a encore des choses à nous dire quant à ces détails que nous voyons dans presque chaque image mais dont nous ne saisissons peut-être pas toute la portée.
Dans le présent album, nous nous trouvons devant des faits tels quels, des documents. Et qui le resteront à jamais. « L’image » domine notre époque par ses innombrables valences dont celle de témoin, image-document, très prisée et exploitée. C’est un des aspects suggestifs et crédibles, qui enrichissent d’une part l’exposé oral ou écrit et qui, d’autre part, surprend des détails figés que le récit, de par sa dynamique même, tend à ignorer ou minimiser. D’ailleurs, à l’avis de plusieurs spécialistes en mass-média, l’image écrase le texte le reléguant au rôle d’accompagnateur de l’impression directe, à couper le souffle, obtenue par l’impact d’un bon cadrage, du choix du détail significatif et des couleurs. L’époque moderne cultive pleinement la communication sous cette influence écrasante de l’image.
D’ailleurs, pour faire une parenthèse à cet insert nécessaire dans l’économie de la présentation, l’image a été intégrée aussi à la méthodologie de l’analyse philologique d’un texte car elle y apporte un plus et, en général, constitue, actuellement, une des composantes de l’histoire de la civilisation, par l’extension du domaine, autrefois réservé à la seule « histoire de l’art ». L’Imagologie a gagné son statut de discipline universitaire et académique et il lui manque seulement une bonne historiographie des recherches pour accéder au rôle de « maître-servant » dans la conquête de la forteresse des recherches du XXIe siècle. Mais, ce n’est les vertus de l’image en soi qui nous intéressent mais ses qualités de témoin. Du moment que la justice reconnaît son « objectivité » dans les affaires pénales, pourquoi l’histoire ne profiterait-elle pas de ses valences incontestables ?
Et, en effet, la propension pour des « histoires » en images ne s’est pas fait attendre et l’on a des atlas historiques avec des cartes imagées qui dispensent l’historien des annexes du texte. Românii din jurul României în imagini constitue justement un ouvrage probatoire sur les agglomérations roumaines, c’est-à-dire des endroits où il y a des habitants d’origine roumaine, dispersées en Europe, tout en formant une guirlande autour de la Roumanie.
Les zones comportant des agglomérations roumaines ont été organisées par chapitres, afin que l’itinéraire de son livre suive un parcours géographique, dans le sens des aiguilles d’une montre. Ainsi : I. Maramuresul istoric (actuellement en Ukraine) nous fait entrer dans cet univers par Apsa de Mijloc, localité à forte présence roumaine; II. Nordul Bucovinei si al Basarabiei si tinutul Herta (Ukraine), et III. R.Moldova; IV. Basarabia istorica (Ukraine) – La Bessarabie historique – ; V. Moldovenii din Transnistria, de la est de Bug si din Caucazul de Nord (Ukraine, Russie) – Les moldaves de Transnistrie, de l’est de Bug et du Caucase de Nord – ; VI. Urme românesti la Istanbul- Traces roumaines à Istanbul – ; VII. Cadrilaterul, Valea Timocului, alte insulite românesti din Bulgaria –Le Quadrilatère, la vallée du Timoc, autres ilots roumains en Bulgarie – ; VIII. Valea Timocului, Sudul Banatului si alte urme românesti din Serbia – La vallée du Timoc, le sud du Banat et autres traces roumaines en Serbie – ; IX.
Banatul unguresc si Tinutul Debretin – Le Banat hongrois et la Contrée de Debrezin – ; X. Aromânii din Grecia, Macedonia ex-iugoslava si Albania – Les aroumains de Grèce, Macédoine ex-yougoslave et Albanie – ; XI. Istro-românii din Croatia si friulanii din Nordul Italiei – Les istro-roumain de Croatie et les frioulans du Nord de l’Italie – ; XII. Vestigii valahe în Cehia si Slovacia – Vestiges valaques en Tchéquie et en Slovaquie – ; XIII. Urmele bolohovenilor în Polonia si în Podolia (Ukraine) – Les traces des bolohovens en Pologne et Podolie – .
Il y a douze heures astrales qui suggèrent mieux qu’une projection tridimensionnelle l’instant suspendu en temps et en espace. Le souffle de l’ambiance surprise se fait virtuellement sentir et le tout acquiert une nuance fortement sentimentale, mais jamais doucereuse. C’est un ciné-vérité qui n’embellit pas la réalité, qui nous convainc et nous incite à la connaître de visu. Les lieux, les bâtiments, les chemins arrivent à nous « parler » et surpris en leur silence ce n’est pas la présence humaine qui les animerait. Ils existe pour témoigner de divers styles de civilisation, souvent extérieures à l’ethnique, mais qu’ils influencent certainement. Tout comme l’environnement social dont surgissent, obstinément, traditions, coutumes et permanences. J’ai été particulièrement sensible au costume traditionnel de la Tatra polonaise, héritage que les anciens pâtres auront trouvé dans les coffres de dot, aux toiles brodées, aux motifs des tapis de Martanocha (Ukraine) ou de Moldovanskoe (Caucase du Nord). Cela représente, comme toute marque personnalisée, l’emblème de l’appartenance à un groupe ethnique qui, parfois, réduit à parler la langue maternelle seulement en « petit comité », peut l’oublier, tout en gardant le costume traditionnel. Ou, ce qui arrive plus souvent, on abandonne ce dernier mais on perpétue la langue et les coutumes.
Le bilinguisme en tant que phénomène de masse, lorsque la langue dominante – celle de la communauté – est transmise à la génération suivante, parallèlement à la langue maternelle – langue minoritaire – , constitue le « ver » (selon l’IT) qui ronge le système d’une langue. Dans l’étape précédente, les emprunts ou les calques ont lieu au niveau du lexique de la langue réceptrice, or c’est le palier des modifications continuelles. Quant à la seconde langue, celle du milieu allogène où vivent depuis des siècles ou des décennies ces roumains déracinés, on l’apprend jouant avec les autres enfants, en allant à l’école et, naturellement, en coexistant avec l’autre ethnie.
Nous constatons, à notre grand regret, que le service religieux de ces roumains déracinés n’a pu être officié en la langue maternelle, vernaculaire, par les églises orthodoxes des localités concernées, parce que dans les états slaves où ils vivent la langue de culte est l’ancien slavon – langue morte – qu’ils imposent, sans possibilité de recours, aux autres. C’est une sorte de discrimination très peu relevée au niveau international, mais qui appose son sceau sur la dénationalisation. Par exemple, ces dernières décennies, les tentatives des habitants de la Vallée du Timoc serbe (Malainita ou Negotin) de faire accepter l’office religieux orthodoxe en roumain se sont heurtées tant à l’opposition des autorités civiles que…ecclésiastiques serbes. Bien que, dans l’esprit de réciprocité, les serbes de Roumanie se trouvent sous la juridiction d’un archevêché serbe et ils ont l’office religieux en slavon. D’ailleurs, toutes les communautés ethniques de notre pays, ont leurs propres lieux de culte.
Plus que partout ailleurs, dans de telles enclaves, souvent isolées les unes des autres, c’est à la mère qu’incombe de transmettre au nouveau-né la langue de ses ancêtres en l’intégrant de la sorte à un milieu traditionnel qu’ultérieurement la famille et la société peuvent cultiver ou briser. C’est de tels moments de solidarité de groupe que l’on a surpris à plusieurs endroits [Apsa de Mijloc, Ciudei, Crasna-Ilschi ou Sarata (Ukraine), Moldovanskoe du Caucase de Nord (Russie), Gâmzova (Bulgarie), Slatina (Timoc) ou les carillonneurs (sonneurs de cloches) istro-roumains din Jeiani (Croatie)]. L’ouverture au XXe siècle de musées ou collections publiques dans certaines localités permet de conserver des vestiges que plusieurs générations pourraient ignorer sous la pression de diverses circonstances politiques.
Les toponymes et les anthroponymes qui échappent aux changements officiels, témoignent de la continuité. Comme il a connu de visu des centaines de localités de cette espace, l’auteur a pu établir des corrélations entre des toponymes identiques de différents états, situés à grand distance : Pancevo, Subotita, Canija, Martanosa ou Nadlac (Ukraine, reg. de Kirovograd et Serbie, reg. De Voivodina) etc. Il a trouvé le nom de Cornova aussi bien à Orheiul Basarabiei qu’à Ravascletto du Frioul (nord de l’Italie), et au sud-est de la Bessarabie historique, il a suivi le sort des agglomérations autrefois aux noms « occidentaux » Paris (actuellement Veseolâi Kut), Strasbourg (actuellement Marazlievka), Leipzig (actuellement Serpnevoie), Luxembourg (actuellement Peremoga), toutes situées en Ukraine. Il y a encore des communautés ethniques, outre celles étudiées par Vasile Soimaru, qui attendent d’être connues comme le dit lui-même : « La législation européenne …accorde des fonds spéciaux pour la recherche relative aux groupements ethniques enclavés » (pag. 11). Aux initiatives de se faire connaître !
Vasile Soimaru a rêvé, a osé et a réalisé un ouvrage, dont on n’a pas encore mesuré la juste valeur, qu’un chercheur individuel peut difficilement s’imaginer achever. Il a fait un don aux roumains et les plus de 35 comptes rendus et présentations en témoignent de son impact sur les milieux de spécialistes et de lecteurs. Des institutions savantes s’y intéressent (prix de l’Union des Ecrivains de la République de Moldavie) et le temps travaille en faveur de son prestige scientifique. Nous, nous attendons les prochaines éditions. Souhaitons-nous bonne chance!
Prof.univ.dr.Zamfira MIHAIL